Tribune: La caricature, ça doit faire mal

SNJ Radio France et Sud Radio France



Tribune: La caricature, ça doit faire mal
Nous avons beaucoup d’affection pour Jean-Luc Hees, compagnon de route de Radio France. Nous l’aimons tant que nous nous inquiétons. Son indignation face aux « attaques au faciès », proférées par Stéphane Guillon à propos d’Eric Besson est pleine de sensibilité. Jean-Luc Hees est tellement choqué qu’on s’en prenne au physique des personnes qu’il en devient émouvant.

Surtout ne lui dites-pas la vérité. Au fond, Jean-Luc est comme un grand enfant. Il croit que les bébés caricaturés naissent dans des choux, ou que des cigognes rieuses déposent les sketches dans les journaux, les radios, ou les télévisions... Par pitié, ne lui montrez jamais les ventrus de Daumier, il en serait désespéré. Déjà, au XIXème on s’attaquait au physique des gens en vue ! Et Zola dessiné en cochon, pendant l’affaire Dreyfus, cachez-le lui, il en serait bouleversé. Et le général Boulanger transformé en étron par le dessinateur Gustave Frison, il ne le supporterait pas.

Peut-être dirait-il que ces caricatures sont le symptôme d’une époque révolue et que, précisément les temps modernes, en retenant les grandes leçons de l’histoire, ont appris le sens de la mesure aux humoristes. Jean-Luc cite ainsi le très doux Pierre Desproges. Hélas ! Protégez-le. Surtout ne lui faites pas entendre ce que Desproges lâcha, sur France Inter, le 25 octobre 1982, à propos du grand communicant de François Mitterrand : « Ou bien Jacques Séguéla est un con, et ça m'étonnerait quand même un peu ; ou bien Jacques Séguéla n'est pas un con, et ça m'étonnerait quand même beaucoup ! ». Jean-Luc ne s’est pas excusé. Il était à Washington, dans la tendresse américaine.

Le 10 juin 1968, il se trouvait probablement en France, mais il n’a sans doute pas acheté Charlie Hebdo. Ce jour-là, en couverture, Siné nous dessinait des WC à la turque en forme de croix de Lorraine, avec un papier hygiénique aux couleurs bleu blanc rouge. Détruisez ces archives ! Et le Canard Enchaîné qui surnommait le ministre des affaires étrangères Michel Jobert « Rikikisinger », c’était pour sa politique, pas pour sa petite taille. Et encore dans Charlie (l’ancien journal de l’actuel Directeur de France Inter), ce dessin montrant un Giscard qui change de slip (le slip est un Chirac) et qui s’écrie : « il commençait à être merdeux »… Toute l’élégance républicaine… Et le Sarkozy de Plantu avec les mouches autour, et Martine Aubry dessinée en éléphant, et Le Pen avec une chasse d’eau sur la tête, dans Libération, le 14 janvier 2005, qui vomit des excréments, est-ce qu’il faut s’en excuser ?

Nous savons tous que la caricature c’est les longs nez, les grosses bouches, les yeux en galoche, les mentons de fouine, les oreilles de François Bayrou, les Raymond Barre en Babar (sans doute à cause de sa mémoire...), que c’est rigolo parfois, que parfois ça ne l’est pas, mais que c’est la liberté. Comme a dit Nicolas Sarkozy (l’homme qui a nommé notre PDG), à propos des caricatures de Mahomet : « Je préfère un excès de caricature à un excès de censure ».

Mais Jean-Luc ne sait pas ces choses là. Il vit dans son monde à lui. Dommage, car outre sa belle voix il dispose d’une jolie plume. Ne le lui répétez pas, mais ses dons sont évidents. Sa manière de passer des « yeux de fouine » aux « doigts crochus » des persécutions antisémites, révèle un caricaturiste inné. Pour un peu on croirait entendre Guillon=Auschwitz ! Pour un peu ça nous rappellerait les CRS=SS !

Sacré soixante-huitard, va …


Ce texte a été publié mardi 6 avril dans la page Opinions du journal Le Monde.


5 Avril 2010
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